once you go black, you never go back (cordelia)

Dans le bar miteux coincé entre une librairie et une boutique de disques, des femmes se parlent, des femmes rient, mais surtout, des femmes boivent toutes ensembles. Elles sont toutes différentes, n’ont parfois rien en commun si ce n’est leur genre. Certaines se connaissent depuis très longtemps, d’autres depuis quelques semaines seulement. C’est cosmopolite et c’est inclusif. Elles sont là depuis une heure, avec des papiers, de l’encre parfois, tachant leur robe et leurs doigts, le chapeau déposé sur un coin de de la table. Les chopes s’entechoquent et les rires éclatent parfois, pas très discrètement. Pourtant, c’est la bonne humeur qui règne et les femmes essaient toutes d’être discrètes sous le regard de la patrone aux longs cheveux couleur corbeau. Lorsque Minerva observe toutes ces femmes assises  à cette même table, tantôt bruyantes, tantôt sages, tantôt en colère mais surtout vivantes, elle se dit qu’elle est à sa place, que son combat est juste. Elle n’aurait aimé être ailleurs. Elle regarde toutes ces femmes, toutes ces sœurs et elle se dit qu’elles auraient pu partir toutes ensemble vivre sur une île et construire leur propre civilisation. Chacune de ces femmes était unique, avait un talent caché. Certaines ne l’ont pas encore découvert, d’autres en fond plein usage.
Il y a Constantine, la douceur aux cheveux blonds bouclés dont la calligraphie est incroyable et qui est gynécomage.
Il y a Margot qui parle fort et qui est un peu bourrue mais pas méchante. C’est elle qui crie le plus fort et lance les sortilèges les plus puissants.
Il y a Dorothea, l’aînée et la plus vieille, qui a perdu son unique fille sous les coups de son mari et décidé d’ouvrir un refuge pour femmes. Peu importe le sang, peu importe le parti. Ce refuge est chez elle. Un endroit sécurisant, safe
Il y a Anthéa, la douce et discrète, timide qui ne parle pas tant. Elle est sourde, Anthéa. Et elle a aussi avorté récemment. Son corps amaigri par l’épreuve de ce geste interdit se remet à peine.
Puis, il y a, elle, Minerva, la reporter qui milite, qui écrit, la féministe avant-gardiste qui aurait pu être inspirée par Simone de Beauvoir ou encore plus tard Virginie Despentes. Elle finira par côtoyer la première dans sa vie, pas la seconde, malheureusement.
Parfois, Theodosia vient les rejoindre quand elle a le temps.
Parfois d’autres femmes viennent aussi, des femmes qu’elles ont rencontrées et à qui cela pourrait plaire. Des femmes qui ont juste besoin d’être écoutées le temps d’une soirée, parce que le groupe sert aussi à cela : à libérer la parole.
Certaines sont régulières, d’autres ne le sont pas. Ca va et ça vient.

Mais elles sont toujours à deux endroits différents : au Rock’n’Bear et au Chaudron Baveur.

Les femmes commencent à ranger leurs affaires. Il est temps de partir chacune dans leur vie, retrouver leur mari pour certaines, leurs amants pour d’autres. Parfois, leur chez elles, sans mari ni amant et ça leur suffit.
Minerva s’attarde. Elle n’a pas envie tout de suite de rentrer chez elle. Elle s’assure que tout soit en place, que les filles n’oublient rien, que tout soit propre. Et quand elle a terminé, son regard se pose sur la patronne.

Cordelia est la discrétion même. Mais Cordelia sait aussi gérer son établissement, les sermonner quand il le faut. Si ce soir, elles ont été plutôt sage, Minerva s’imagine bien que la sorcière doit bien avoir deux ou trois choses à redire. Comme elle n’aimerait pas que cette femme qu’elle a appris à apprécier au fur et à mesure de ses visites en tant que cliente régulière, ne soit froissée par quoique ce soit, elle se dirige vers elle au niveau du comptoir. Minerva n’a pas encore mis son chapeau. Elle le mettra sur le pas de la porte avant de sortir dans la nuit noire.

« Merci encore Cordelia, pour nous laisser rester ici. C’est très gentil de ta part. » Le ton de la sorcière est accueillant et doux. Elle adresse un grand sourire à la femme qui est son aînée et finit par lui demander : « J’espère que nous n’avons pas été trop bruyantes. » Son regard tombe sur les vêtements plutôt sombres de la sorcière. Elle n’a pas mis longtemps avant de comprendre ce que cela sous-entend et Minerva se demande s’il s’agit d’un enfant ou d’un mari, ou d’un autre proche. Il semblerait que la mort frappe tout le monde ces temps-ci. Patiemment, la sorcière attend que son homologue féminin ne s’adresse à elle.

@"Cordelia McFarlane"