plus vrai que nature (rite de passage)

Allongée sur le ventre, Prudence est perdue dans ses pensées. Ou plutôt dans celles de la jeune femme dont elle lit les aventures et les peines de coeur, dévorant un roman à l'ombre d'un chêne de la propriété des Prince. C'est le printemps, et les elfes de maison n'ont pas encore tondu l'immense jardin : son père ne manquerait pas de le leur rappeler, elle en était certaine. À moins qu'elle n'en trouve un et qu'elle ne lui fasse passer le mot avant le retour du patriarche de Londres. C'était toujours ça, se disait-elle, alors que la pelouse et les pâquerettes lui caressaient les jambes nues. Sa robe un brin relevée, juste assez pour sentir le soleil lui mordre doucement les mollets. Le mois d'avril était arrivé à une vitesse qui l'avait prise de court et avec lui, le retour de l'astre chéri. Mais pas que. Du bout des doigts, Prudence tourna une page, une brise venant soulever quelques mèches s'échappant de son chignon noué d'un ruban de satin. Et autour d'elle, le bruit de la vie au loin pareil au son des vagues qui s'écrasent l'été sur les plages du Devon.

Quand elle ouvre les yeux, le soleil est bien plus bas qu'il ne l'avait été lorsqu'elle lisait le chapitre sept de son livre. Se redressant sur un coude Prudence chercha ce dernier, ne se souvenant pas s'être endormie. Sa main tâte l'herbe à ses côtés, s'égare autour d'elle sans trouver son roman. Étrange. Peut-être qu'un de ses frères l'avait surprise et lui avait retiré l'objet pour l'embêter : mais Prudence se mettait rarement en colère. Soit. Quand elle se relève et époussette sa robe couleur crème, une voix s'élance derrière elle, lointain. Alice ! Prudence regarde derrière elle, s'attendant à ce qu'une Alice s'y tienne mais elle est bien la seule sorcière à se trouver sous l'imposant chêne. C'est un garçon blond d'à peu près son âge qui accoure vers elle, paniqué. Alice, qu'est-ce que tu fais là ?! Tu sais bien qu'il ne faut pas... Quand il essaie de lui attraper le bras, Prudence se décale, sentant son coeur s'affoler tout à coup. Je ne suis pas Alice, je- Mais pas le temps de lui répondre qu'il se trompait de personne qu'un éclair de lumière éclate à leurs côtés, le garçon tombe au sol, pétrifié. Quand elle se retourne pour voir d'où provient le sol, une dame se tient droite et hautaine à quelques pas. Des moldus sur ma propriété ? Quelle charmante surprise. Moldus ? Sa propriété ? C'est à rien y comprendre, elle était chez elle et était à peu près sûre ne pas avoir vu son visage par le passé. Ce dont elle était certaine, cependant, c'était qu'elle n'était pas une moldu. Elle fouille dans une poche de son gilet et attrape ce qu'elle pense être sa baguette. Je ne suis pas une moldu, je suis une sorcière Madame, et - Prudence s'arrête tout à coup, surprise de voir dans sa main une vulgaire branche et pas sa baguette. La sorcière en face d'elle se met à rire. Eh bien, on ne me l'avait jamais faites celle-là ! Une moldu qui se croit sorcière. En voilà une nouvelle... La sorcière lui jette un sort informulé, qui lui serre alors la gorge, la soulève, obligeant Prudence à se tenir sur la pointe des pieds pour ne serait-ce qu'happer l'air. Tu sais ce qu'on en fait des moldus, chez nous ? Elle marque une pause, face à Prudence dont les yeux s'écarquillent sous la terreur. On les envoie aux arènes. Les arènes, non. Et puis les voilà qui transplannent, se retrouvent dans les coulisses où on la vend comme un vulgaire appât. Elle a beau dire qu'elle n'est pas une moldu, tout la condamne, elle n'arrive même pas à se souvenir du moindre sortilège, encore moins à utiliser une baguette quand on lui en tend une dans un éclat de rire. Elle était moldu. Mais ça n'avait pas de sens. Finalement, on la pousse entre les portes de l'arène à une vitesse qui ne lui laisse même pas le temps de comprendre la situation dans laquelle elle se trouve. Et le réveil sous le chêne lui paraît être si loin déjà. Aidez-moi ! Je ne suis pas une moldu, je vous le jure ! Il y a erreur ! Sortez-moi de là, je vous en prie ! qu'elle s'égosille à en avoir mal à la gorge, les mains sur les barreaux, le dos à l'arène où elle entend qu'on ouvre de larges portes. C'est le hurlement d'un dragon qui la fait faire volte-face, et elle n'a le temps que de crier à son tour avant qu'il ne charge vers elle.

Prudence se réveille en sursaut, le fantôme d'un cri au fond de la gorge. Le coeur et les sens alertes, au dessus d'elle le temps tourne à l'orage déjà et le ciel bleu a fait place dans son sommeil aux nuages gris typiques du Royaume-Uni. Quel drôle de rêve. Elle aurait juré s'être réellement réveillée quelques minutes après s'être endormie, elle aurait juré avoir vraiment vu cette sorcière, être allée dans les arènes. Mais à en juger par le ciel, elle était tombée de sommeil bien plus longtemps que ce que son rêve lui avait laissée imaginer.

Elle tâte l'herbe à côté d'elle et trouve cette-fois son roman, dont elle a perdu la page. Tant pis. Prudence se lève alors, se dirigeant vers la bâtisse des Prince afin d'éviter la pluie qui menaçait de tomber à présent.