(- 18) I'm gonna raise the stakes, I'm gonna smoke you out (thelas)

A chaque fois qu’elle l’entend vouloir se débarrasser des affaires de Margot, son coeur se serre. Elle lui a déjà assez dit, qu’elle veut que sa défunte femme trouve une place d’équilibre dans leur nouvelle vie, mais elle semble comprendre qu’il n’est pas prêt. Pas encore. Dans quelques années, peut être. Il arrivera, elle espère, à avoir de la tendresse pour les souvenir de Margot, et pas du déchirement. Il pourra peut être voir dans leur vie des bribes de ce qu’il a vécu avec elle sans avoir le coeur plissé en deux. Elle ne sait vraiment quoi faire, quoi dire pour soulager sa peine. Si tant est qu’elle en était capable.

Elle sait déjà ce qu’elle va faire. Ah, ces vieux instincts qui ressortent malgré elle. Elle veut bien faire. Mieux. Il n’est pas prêt. Pas prêt. Un jour, il comprendra qu’elle a fait ça pour son bien. Elle demandera à Pookie de cacher ces affaires. Dans un lieu sûr, à l’abri de l’humidité. Elle lui fera promettre de ne jamais lui dire où elle les a mises. Qu’elle ne pourra le dire qu’à Atlas. Et elle n’en parlera à Atlas que lorsqu’il sera prêt. Oui. C’est ce qu’elle fera. Il ne doit pas dire adieu comme cela. Il était un homme plein de contraction, prêt à la faire revenir des morts, mais à quitter ses affaires, cela dépassait l’entendement pour Théa. Alors, pour lui, uniquement pour lui, elle le protégèra de ses erreurs. Sans briser son intimité. “Réfléchis-y encore un peu, si tu veux bien.”



“Je… Je ne sais pas. Je sais bien que tu n’es pas lui.” Hors de question de prononcer son nom, à l’ancien mari, dans cette demeure tendre et aimante. Loin de ce qu’il était. “Mais, peut être que tu attends certaines choses ? Que d’autres te gênent ? J’ai déjà fait tellement d’erreurs, je ne veux pas en faire d’autres, ne le prends pas contre toi. Je…” Elle soupire, lisse son chignon, comme si une mèche rebelle pouvait distraire cette conversation. “Il ne voulait pas que je sorte n’importe quand. Pas d’autres hommes en son absence, même pas mon frère, ou pire mon père. Pas d’emploi, ça aurait fait tâche. Je cachais les cadeaux des familles pour ne pas en être privée. Si on me donnait des gallions, je les déguisais par magie.” Théa tremble un peu, en racontant ce passé qui lui semble si loin, et pourtant toujours présent, sur un fil : elle est si conditionnée. “Je me fiche d’avoir un bureau ou de l’argent. J’aime faire ça. C’est… Ca donne un sens à mes journées. J’aimerais continuer à être préceptrice. C’est l’un de mes plus grands bonheurs, cette activité.” Une pause. Elle tâtonne, sans savoir ce qui est trop de pas assez. “Je n’ai pas besoin de signature… J’ai… J’ai juste besoin de savoir ce que je peux faire. Ou ne pas faire. Je ne veux pas outrepasser mes droits.”

Elle serre sa main, l’impression qu’il est trop doux pour elle. Que c’est trop beau pour être vrai. “Je me fiche d’avoir une bourse, Atlas, j’ai assez de livres et de robes, ça ne rentrerait probablement pas dans la maison, par ailleurs. Je vais devoir faire un tri, Méra sera ravie.” Encore une chose dont il aurait du discuter avant les fiançailles. Tant de conditions que Christian et Arctus avaient apposés sur le contrat. Elle savait exactement ce qu’elle devait faire en tant qu’épouse. Finalement, ici, elle marchait sur des oeufs. Personne ne lui disait comment faire. “Je ne sais pas trop… Comment bien agir ? J’essaie vraiment de faire attention, mais j’ai l’impression de souvent me tromper, de confondre ce qu’on voulait de moi avant, et de ce que tu attends de moi ? Si certaines choses sont toutes naturelles, d’autres sont plus… Flous ?”

Elle secoue la tête quand elle l’entend parler du voisinage. C’est une sorcière, elle sait parfaitement se dissimuler. Elle n’a aucunes intentions de se lier avec eux pour le moment, avec son talent, elle risquait le secret magique, trop maladroite dans ses propos et dans ses actes pour son bien. “J’utiliserais un sort, ils ne verront pas que je suis là. Rien de trop compliqué, mais je ne suis pas très habituée au monde moldu, j’évite de les côtoyer pour ne pas faire d’erreur. J’ai tendance à lancer des oubliettes puissants.” Sourire coupable, elle se mord la lèvre et retient un rire. Sa maladresse détend un peu la conversation. Enfin.

« Les moldus devaient passer jeudi prochain. » Il hausse les épaules. « En journée, ça t’aurait embêté de les accueillir ? » Il est d’accord avec le fait de donner pour que cela aille à des nécessiteux. Il ne veut juste pas être là pour les voir emmener les affaires. Atlas ne veut plus éprouver la force de ses convictions, pas quand la nuit dernière lui a montré qu’elles sont si peu de choses. Il se vexe presque qu’elle voit avec légèreté le fait de ne plus aller dans le degré d’intimité de la nuit dernière. La faute est déjà commise. Mais il serait aussi bien de ne pas la renouveler. Il ne sait pas. Il aimerait se rendre à la messe, retrouver du calme dans le tumulte. Ce soir peut-être ? Dimanche n’est pas très loin. Il doit avoir noté les horaires des paroisses entre son domicile et la boutique, dans le calepin qu’il garde près de son portefeuille. Il consultera cela après. Loin d’elle. Pourquoi faut-il se sentir obligé de le lui cacher ?

Il prend le temps de réfléchir à ce qu’elle lui dit. Affreusement trivial de prendre un repas tandis qu’ils discutent de son avenir, de la couleur des barreaux de la cage pour l’oiseau. Il ne voit pas comment l’expliquer. Il veut la laisser libre, mais il ne veut plus de scène de jalousie. La maison est ouverte aux quatre vents. A Moon qui pourrait s’y réfugier. A Drusilla pour laquelle il a installé une chatière. A Minerva qui vient parfois lui rendre visite. A Pluton, qui ne vient pas souvent. A Harfang, qui lui emprunte des partitions – depuis qu’ils sont rabibochés – et qui venait le voir au début de son installation. A Algie, qui en faisait autant – sauf les partitions, mais en venant prendre des repas et tant parler de son aîné avec Atlas qu’Harfang devait avoir les oreilles qui sifflaient toute la soirée. A Susan, jamais bien loin. A ses voisins moldus. A une infinité de personnes, et il ne voit pas pourquoi elle n’aurait pas le droit d’avoir des amis. Même un autre homme, qui viendrait sans son absence. Qu’il sache, il a pu recevoir des femmes sans ambiguïté, encore qu’il y en ait avec lesquelles il ait justement partagé une intimité. Il se désole d’apprendre dans quelle solitude, dans quel isolement elle a vécu. Colère sourde contre Arctus Selwyn. C’est heureux que cette enflure ait cassé sa pipe.

« Allez, viens là. » Il repousse l’assiette, lui ouvre ses bras. Elle vient s’y blottir, et il caresse son visage comme s’ils allaient être séparés une éternité. « Je te demande juste d’agir … En ton âme et conscience est peut-être pompeux. Mais. Tu es chez toi, ici. Tu peux inviter des amis. Tu peux inviter des hommes si tu veux, je te fais confiance. Je n’ai ni le temps ni l’énergie de te surveiller pour vérifier que tu ne sois jamais tentée. Je me dis que tu es raisonnable, que tu ne me feras pas de mal. Hier, c’était malheureux. » D’insulter Minerva. « Tu peux avoir … Un autre avis sur mes amis, ou sur certaines relations. Mais je veux que nous en parlions ensemble. Cela te semble-t-il raisonnable ? »  Il hausse les épaules. « J’ai eu un mode de vie trop erratique depuis que je suis rentré pour imposer des horaires auxquels prendre les repas. Je veux passer du temps avec toi, mais je veux que tu vives en dehors de moi. Je détesterais que tu sois mon ombre, ça ne m’intéresse pas. Et si tu dois me dire des choses désagréables, pour mon bien tout de même ou pour le tien, je prends le risque. » Il conclut cette tirade d’un baiser. Ils se relèvent, une dernière étreinte. Il transplane.