Girl, wanna have fun ~ Kieran

Le raisin rouge glissait sur ses lèvres pulpeuses, les colorant rapidement de la teinte souhaitée. Une dernière épingle dans ses cheveux blonds pour les faire tenir dans une coiffure qu’elle aimait beaucoup. Et la ceinture de sa robe qu’elle serrait pour marquer un peu plus sa taille fine. Le fiancé qui se dit qu’elle sort beaucoup, ces temps-ci. Ses épaules frêles qui se haussent l’air de dire qu’elle ne trouvait pas spécialement. Depuis qu’elle avait perdu ses pouvoirs, elle se sentait pousser des ailes. Peut-être un peu trop parfois. Il fallait dire que se rendre au Fol’Opium lorsque l’on avait pour se défendre que sa cinquantaine de kilogs, ce n’était pas l’acte le plus réfléchi de l’Histoire. La première fois, elle avait pensé que ne pas prendre sa baguette était la meilleure idée. Après tout, elle ne voulait pas risquer de la perdre. Et dans son esprit, elle s’était rendue compte que cela donnait beaucoup trop d’informations sur sa nouvelle condition - temporaire, elle l’espérait. Aussi le bâton sans pouvoir avait été glissé dans une de ses poches. S’il ne pouvait plus envoyer des agresseurs au tapis, il pourrait au moins être utilisé pour crever un oeil ou deux.

Il ne semblait pas être là, ce soir-là. Pourtant, elle s’y était rendue à peu près à la même heure que la fois précédente. Le videur à l’entrée qui lui adresse un sourire comme s’il commençait à la reconnaître. Cela ne faisait que deux fois, il devait confondre. Elle escalada le tabouret - un jour peut-être en feront-ils un qui lui permettent d’avoir l’air moins ridicule - et commanda un Explosard qui arriva rapidement. Le regard noisette qui observe pour savoir s’il arrivera bientôt. Elle savait qu’il était un habitué, mais elle n’avait pas réussi à trouver s’il venait tous les soirs ou les mêmes soirs. Le premier Explosard était le plus compliqué, le temps de s’habituer, le temps de gérer le liquide qui vient brûler ses entrailles. Et puis il lui faut du courage pour repartir une nouvelle fois à jouer à celle qu’elle n’est pas. Le temps passe et ses pensées divaguent. Des questions qui se percutent dans sa tête et elle ne prête même plus attention au monde qui l’entoure. Le verre qui se vide plus vite qu’elle ne l’aurait pensé, alors que ses lèvres ne rencontrent plus rien quand elle le fait une nouvelle fois basculer. « Un autre ! », qu’elle réclame au serveur. Et le signe d’un inconnu qui prend l’addition sur son ardoise alors qu’il s’approche d’elle, un sourire carnassier aux lèvres. Elle lui répond avec sa bouche qui s’étire, il veut commencer à converser, elle se dit pourquoi pas.

Et les discussions s’enchaînaient aussi bien que les verres qu’on lui faisait glisser sur le comptoir. Deux hommes. Ou peut-être trois. Ou peut-être un. Elle ne savait plus trop. Le monde qui tournait un peu. Elle n’était pas vierge d’alcool, mais elle n’était pas coutumière non plus. Et puis elle n’avait pas le gabarit pour suivre les plus costauds des habitués. Mais elle en avait besoin, de s’évader un instant en laissant son esprit s’emporter dans les vapeurs acides de l’alcool. Elle ne s’était jamais sentie aussi libérée depuis la perte de ses pouvoirs que dans ce bar moldu avec Minerva. Elle voulait retrouver l’insouciance d’un moment perdu, la simplicité d’une discussion qui commençait à perdre son sens. Comme les verres disparaissaient au fur et à mesure de la soirée, elle n’était plus très sûre de leur nombre, mais elle savait qu’elle avait dépassé la limite pour être considérée comme sobre. Elle tanguait même gentiment sur son tabouret, tout en maîtrisant encore la position de son postérieur sur l’assise.

Elle avait également cessé de jeter des regards sur l’entrée en s’attendant à le voir débarquer. Peut-être même qu’elle avait oublié les raisons premières de sa venue dans la boîte de nuit. Elle préférait largement discuter avec Mister Chose et Dear Sir - les prénoms ne s’étaient pas imprimés dans son esprit. Ils trinquaient. Elle buvait à son père qui lui avait ordonné de ne plus revenir le voir avant d’avoir retrouvé ses pouvoirs. Elle buvait aux créatures magiques qu’elle ne voyait plus que dans les livres. Aux femmes de WITCH qui auraient sûrement roulé des yeux en la voyant faire. À son fiancé qui ne savait même pas qu’elle était là. Elle passait une bonne soirée.

Et sa tête qui se tourna, pour une raison inconnue, finalement vers l’entrée. Comme attirée. Comme si son instinct s’était réveillé à l’instant précis pour un timing parfait. Même avec l’alcool dans le sang, elle n’avait pas oublié l’homme qui venait d’envahir son espace visuel. Ni son prénom, ni son visage, ni beaucoup d’autres choses. Elle suit sa démarche et son aura imposante. Laurel et Hardy avaient cessé leur discours. Un flottement de quelques secondes, qui auraient pu durer bien plus longtemps. Et la poupée blonde s’anime à nouveau, détachant ses yeux dans un effort qui avait été plus intense que prévu. « Hey ! Un whisky pur feu pour le grand brun là-bas ! », qu’elle interpelle le serveur alors que son doigt manucuré pointe sans grande discrétion à celui qui aurait pu être son mari aujourd’hui. Ou peut-être plus vraiment, si les souvenirs de leur dernière rencontre et des révélations qui s’y étaient produites venaient à refaire surface dans son cerveau déjà mélangé. Et lorsque leurs regards se croisent, sa main libre qui s’agite pour signaler sa présence, tandis que l’autre enroule ses doigts autour du verre pour siroter une nouvelle gorgée.

Le videur lui adresse un hochement de tête avant de s’effacer pour le laisser passer sans aucune forme d’hésitation. Bien que le Goyle n’ait pas eu l’occasion de se rendre aussi fréquemment qu’à l’accoutumée au Fol’Opium au cours des dernières semaines, il avait l’énorme chance de faire partie des habitués de l’établissement. Davantage pour les salles de jeux à l’arrière, moins formelles et plus illégales que ce qu’on pouvait trouver au Golden Dragon que pour les putes, évidemment. S’il lui était arrivé de payer les filles qui se pressaient toujours à l’intérieur, il préférait généralement ses proies obtenues sans l’attrait de l’argent.
Ou le statut d’esclave. Ew.
Certainement pas question d’empathie déplacée ou même de pitié envers leur statut ; plus simplement, il voyait peu l’intérêt de se saisir de corps meurtris ou contraints. Sans chasse, pas de plaisir, n’est-ce pas ? Comme elles étaient coincées ici parce qu’elles avaient, selon lui, été trop faibles pour s’en sortir autrement, il se considérait trop bien pour s’abaisser à user de leurs services.
Ironique, bien sûr, lorsqu’on songeait au fait que sa famille était tout juste mieux considérée que les vermines enchaînées par la société sorcière.

Sa soirée libre lui avait gracieusement été offerte par un rendez-vous que sa captive était censée avoir avec son mentor, entraînant par la même occasion une nuit passée au manoir Grindelwald. Là, il n'était nullement tenu de la surveiller. Heureusement. Décidé à aller boire pour oublier ou quelque chose comme ça, il a d’abord été surpris de voir les lieux si fréquentés malgré l’empoisonnement général de la population.
L’atmosphère, elle non plus, ne semblait pas bien différente de toutes les autres fois, à moins que l’on y prête assez d’attention pour y déceler les failles. Derrière les rires habituels, les gémissements que l’on pouvait deviner provenir de plusieurs endroits à la fois, les regards se croisaient un peu trop souvent, s’attardaient sur les silhouettes et certains sorciers toujours dotés de leur magie n’hésitaient pas à en faire la démonstration aussi souvent que possible. Intouchable, semblaient-ils dire, le torse bombé et l’oeil luisant. D’arrogance comme d’un trop plein d’alcool.
Kieran, pour sa part, ne s’en faisait pas : à quoi leur servirait donc bien leur baguette une fois cassée en deux ?

Se frayant un chemin parmi la foule, détachant d’un grognement la main caressante d’une fille de joie, il a les yeux fixés sur le bar. Auquel il compte s’accouder jusqu’à être suffisamment enivré pour décider d’aller perdre tous ses gallions. Son attention est cependant arrachée à sa destination lorsqu’il sent un regard pesant posé sur lui. Détournant la tête, il s’immobilise, manque presque de trébucher.
Rylan ?
“Un whisky pur feu pour le grand brun là-bas !”
Rylan.
Pour peu, il resterait bouche bée. Se serait attendu à tout le monde ici, sauf elle. Fronçant les sourcils, il l’observe sans bouger tandis qu’elle secoue la main à son encontre, entourée de deux hommes inconnus et semblant bien plus sobres qu’elle. Ce qui, à priori, n’a pas l’air bien compliqué.
Avalant d’une grande enjambée la distance qui le séparait encore du bar, il se saisit de son verre — quand même — avant de changer de direction pour s’approcher de son ex-fiancée. Leur dernière rencontre s’était… Mal terminée. Peu rancunier toutefois, et estimant sans doute de toute façon avoir gagné la manche, il s’en préoccupe peu quand il l’atteint. Se saisit sans ménagement de son bras, ignorant avec aplomb ses collègues, l’attire un peu à lui afin de pouvoir se pencher pour atteindre son oreille. “Qu’est-ce que tu fous ici ?” Le ton est réprobateur, presque agressif, chargé de l’instinct territorial qu’il n’a pourtant plus le droit d’avoir à son égard.
Rylan Carrow n’a rien à faire au Fol’Opium (comme la plupart des femmes à part Selina, d’ailleurs). Encore moins par les temps qui courent.

À sa gauche, l’un des hommes ouvre la bouche pour parler, se trébuche dans son discours, soit parce qu’il est plus bourré qu’il n’y paraissait de loin, soit parce qu’il se heurte au regard noir que l’ancien Serpentard lui adresse. C’est donc son comparse qui prend la parole, lui expliquant qu’il n’y a pas à s’en faire, “nous nous occupons de sa sécurité,” un sourire voulu charmeur aux lèvres.
Voulu et ma foi plutôt réussi, en réalité.
Évidemment, il n’en a pas grand-chose à faire dans tous les cas, et ne lui offre qu’un simple grognement condescendant avant de reporter son attention sur leur proie de la soirée. “J’te pensais plus futée qu’ça,” crache-t-il encore, de plus en plus agité. En fond, les deux voix se mêlent à nouveau pour expliquer la situation, s’inquiétant sans doute après coup du lien unissant le duo puisque l’endroit était aussi bien souvent le repère de chevronnés infidèles (et il était bien placé pour le savoir), mais Kieran ne leur octroie pas un second regard quand son bras libre quitte le coude de Rylan pour se glisser directement autour de sa taille.
Et la soulever de son tabouret sans aucune forme de procédure ni douceur. Une fois délogée et déposée à terre, il maintient son emprise autour d’elle et l’entraîne à sa suite, directement vers la sortie. Derrière lui des protestations, mais aucun d'eux n'ose bouger, sans doute privés de leur magie et pas sûr qu'il en aille de même pour lui. Dommage, un peu, mais pour une fois il ne cherche pas à en découdre avec tout ceux qui croiseraient son chemin, sa priorité immédiate étant de trainer la jeune femme plaquée contre lui dehors. Qu’elle se débatte ou non l’intéresse peu : elle restera pas plus longtemps ici.
D’abord parce qu’elle n’a donc rien à foutre là, comme il s’efforce de lui faire comprendre depuis son arrivée.
Ensuite parce que si elle reste, sa soirée libre se transformerait en soirée de surveillance pour s’assurer que personne n’ose la toucher.
Il en a un peu marre de surveiller qui que ce soit.

Elle le voit bloquer lorsque leurs regards se croisent enfin. Un petit gloussement qui s'échappe de ses lèvres de satisfaction. Elle est fière de lui commander à boire aussi, comme s'il avait besoin de son aide. Elle le suit des yeux tandis qu'il s'empare du verre et la tension dans ses muscles montent alors qu'il s'approche de sa position. Elle ne le savait pas, mais elle n'était pas la seule à se crisper. Jacob et Edward aussi serraient les mâchoires, mais pas pour les mêmes raisons. Ils la voyaient déjà, la proie s’envoler au profit d’un autre lion. Mais celui-ci faisait au moins une tête de plus qu’eux, et vraiment, il semblait peu content de la situation. Rylan, quant à elle, sortait son petit sourire fier alors qu’elle continuait à siroter son cocktail dont il ne restait déjà plus grand chose. Son corps sursauta lorsque son ex-fiancé vint lui attraper le bras, traumatisé de leur dernière rencontre à la fin malheureuse. Son rictus qui tressautait en sentant son souffle contre son oreille, jusqu’à sa nuque. Apparemment, cela lui déplaisait qu’elle sorte dans un bar. Elle ne faisait rien de mal pourtant. À part accepter des verres de sombres inconnus. « Je pourrais te retourner la question ! », qu’elle lui hurle presque au visage pour qu’il puisse l’entendre. Le liquide quitte définitivement son verre et elle se dépêche d’en lécher la dernière goutte sur sa lèvre inférieure, son corps se balance sur une musique qui n’existe que dans sa tête.

Pendant ce temps, ce sont David et Jonathan qui tentent de faire la conversation avec Kieran. La tête de la blondinette passe d’un camp à l’autre, mais bien vite le vertige la prend et elle se contente de fixer celui qu’elle connaît depuis sa naissance. Elle voudrait lâcher un “On discute” des plus innocents, mais le son ne passe pas ses lèvres. Et puis de toute façon, il n’a pas l’air enclin à prendre les arguments, elle le sent même l’esprit flou. Aussi parce qu’il continue de serrer son coude comme s’il avait peur qu’elle lui échappe. Le reproche frappe à nouveau, la belle fronce les sourcils. Il fait des conclusions hâtives, comme il en a toujours fait. Il voit les choses, il les interprète. Pas le temps pour la mesure. Il la libère enfin de son emprise, elle fixe son coude un instant avant de frissonner en le sentant agripper sa taille. Il fallait dire que ça n’arrivait pas souvent. « Qu’est-ce que... », tente-t-elle de rétorquer alors que ses fesses quittent son siège sans ménagement et qu’elle se rattrape aux épaules de son kidnappeur pour éviter la gamelle. Pas le temps de souffler qu’il l’entraînait déjà dans une direction sans qu’elle ne puisse s’y opposer. Elle lance un dernier regard à Charly et Lulu qui, hébétés par la scène, tentent un dernier “Laisse-nous ton hibou” qui, vu la moue de la jeune femme, n’avait sûrement pas été très bien compris.

Le sourire a disparu, mais ses sourcils sont toujours froncés. Elle chouine en voyant son verre pourtant vide s’éloigner et doit s’accrocher à son tour à la taille de Kieran pour le suivre sans trébucher. « Attends, on va où ? » La question bête alors qu’elle voit parfaitement la porte d’entrée devant eux. Elle tente un arrêt, peine perdue. Elle sait qu’elle ne fait pas le poids - littéralement et figurativement - face au colosse qui ne la lâche pas. Elle en avait subi les frais la dernière fois. L’air doux de l’extérieur contraste avec la chaleur qui régnait dans le bar, lui arrachant un nouveau frisson. Elle reste contre sa chaleur instinctivement, amorphe encore quelques secondes, avant de s’animer enfin. « Tu t’inquièterais pas pour moi, Kieran ? » Elle avait l’éclat malin dans sa voix. La curiosité aussi. Après ce qu’il lui avait fait subir au Ministère, elle n’aurait pas pensé possible une telle réaction face à deux hommes. Elle s’écarte finalement pour lui faire face, comme si le regarder dans les yeux lui donnerait toute la sincérité du monde. Il lui avait prouvé le contraire quelques semaines auparavant. Et la machine Rylan était lancée. Elle n’avait été que rarement dans un état pareil, mais le plus mémorable dans ces passes, c’était qu’elle n’avait aucune barrière pour l’empêcher de dire des choses qu’elle ne devrait pas. « De toute façon, ils ont perdu leurs pouvoirs, ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas leur baguette sur eux. » Comme un plaidoyer sur sa manière d’agir. Car même l’esprit embrouillé, elle ne comptait pas lui révéler pourquoi elle était vraiment allée dans ce bar précisément. « Enfin, à un moment, un des deux s’est collé à moi et j’ai senti un truc, mais je crois pas que c’était sa baguette... » La partie sans filtre énoncée plus tôt. L’air pensif et presque innocent de la jeune femme dont le regard se perdait un instant, comme dans un autre monde. Reconnectée à la réalité, elle haussait les épaules, le sourire retrouvé. « Mais j’aurais su me défendre avec les super techniques que tu m’as apprises ! », dit-elle. Et, joignant le geste à la parole, elle commence à donner des coups dans le vent. Pieds et poings dans les airs, désarticulés par un taux d’alcoolémie bien trop élevé. Pour sûr qu’elle n’aurait pas fait long feu dans la réalité, mais dans sa tête, elle était le nouveau Kung-fu Panda. Et le tournis qui la prend à nouveau, le pas qui racle le sol et qui trébuche et elle vient se rattraper contre le torse de son ex-fiancé. Un éclat de rire un peu bête, presque enfantin. Des réminiscences d’un passé bien lointain. Sa main contre sa poitrine, elle reprend son souffle avant de lever la tête vers son regard beaucoup trop haut pour elle. « Tu vois, j’ai tout retenu ! Oh wow t'as pris du muscle en treize ans ! » La main baladeuse qui vient palper le poitrail du chien de Grindelwald. Elle est beaucoup trop tactile et elle ne s’en rend pas compte. Ses doigts qui glissent doucement jusqu’à ses abdominaux, sa bouche qui s’entrouvre pour laisser passer l’air. Un instant en suspend l’espace de quelques secondes. Ses prunelles noisette qui avait suivi la descente reviennent se figer dans celle de Kieran. Elle en avait presque oublié le fil de ses pensées. « Tu trouves que j'ai changé depuis ? » La question qui sort toute seule. Elle n’a vraiment aucun filtre.