(Drusilla) chant d'automne

septembre 1878. Rentrée à Poudlard où elle revêt l’uniforme sous l’égide de Lady Rowena. Elle sera nommée préfète, puis préfète en chef entre 1883 et 1885, et y connaît ses premiers émois : c’est l’alchimie qui la séduit presqu’autant que l’art des potions. décembre 1882. Noël se fête dignement ; plusieurs familles de sang-purs sont réunies et elle est officiellement présentée à Henry Potter, ni vulgaire inconnu, ni proche fréquentation, qu'elle relègue rapidement, mais tout aussi secrètement, au rang d’arrogant de première catégorie — rien de grandiloquent, rien de surprenant, elle en fréquente à la pèle, des princes vaniteux. Lui, elle doit l’épouser, une épine dans le pied. La bague au doigt pour ses dix-huit ans, elle troque Quirrell pour Potter. octobre 1884. Drusilla entreprend des recherches dans le domaine des potions, mais également de l’alchimie après s’être longuement passionnée pour les travaux de Flamel. L’année de ses vingt-et un ans, elle tombe enceinte; ça ne l’empêche pas de doubler ses efforts dans sa quête pour le Graal; qu’importe les mises en garde des mentors comme de l’époux. juillet 1888. Elle perd l'héritier grandissant en son sein après s’être essayée à des pratiques interdites en alchimie. La supplique de nommer le chérubin se meurt et plus aucun son ne s’échappe de ses lèvres durant les semaines qui suivent. Quelque chose se brise en elle, mais aussi entre Henry et elle. Parallèlement, elle laisse tomber l’alchimie pour se consacrer aux potions. avril 1889. Naissance de Gabriel Alaric Potter, second né, vivant et viable, son petit prince. mai 1889. Découverte de la trahison d’Henry, crève-coeur pour une putain de bas étages; elle lui lacère le visage en lui éclatant un verre contre la joue. Nouvelle brisure, rancune amère. janvier 1891. Naissance d’Astoria Freya Potter, première fille choyée, poupée à dorloter. février. 1891. Le champagne coule à flot, la réception bat son plein et on lui fait les yeux doux; elle se sent belle et désirée, veut faire autant de mal à Henry qu’il lui en a fait, alors elle commet son premier impair. Le dernier, elle le jure. Elle se trompe. mai 1893. Naissance de Lyrae Cora Potter, reine du coeur maternel, impératrice en devenir. printemps 1894. Le roi est mort, vive le roi. Elle a toujours eu Hector en horreur, de toute façon. octobre 1897. Pour une fois, l'amant sert à autre chose que son bon plaisir. Confidence pour confidence, secrets sur l'oreiller, les rudiments de la métamorphose éveillent sa curiosité. Les débats sur sa condition féminine s'enchaînent, la faiblesse d'esprit des siennes pour argument, il se targue de ne pas la voir y arriver. Comme beaucoup d'hommes, il se fourvoie. Drusilla devient animagus l'année de ses trente ans. été 1913. Morsure de Gabriel, début des recherches pour l’antidote contre le fléau de la lune. mars 1914. Discussion avec Henry, le pousse à se mêler aux suiveurs de Grindelwald, la cause séparatiste grande gagnante du moment. été 1914. Libération de Raphaël par Lyrae, duel entre père et fille, intervention de Druella qui finit par quitter la demeure familiale.

chapter one
Gabriel a le nez plongé en direction de son assiette, les joues rosies. Le rire goguenard d’Hector, pour lequel Drusilla n’a le moindre regard depuis le début du repas, secoue les invités installés autour de la table. Il la fait vibrer au gré des coups de poings qu’il assène frénétiquement contre son bois vernis, venus souligner chacune de ses remarques toutes plus désobligeantes les unes que les autres. « Tu n’es pas un cracmol, dis-moi ? » Drusilla arque un sourcil et Henry, face à elle, semble lui renvoyer son reflet. Quel affront.
Boom.
Il claque à nouveau du poing contre la table, s’esclaffe bruyamment. L’enfant sursaute, les adultes se figent, Pollux et Castor dressent l’oreille; en présence d’Hector, tous sont aux aguets, toujours. Pas de répit quand c’est une véritable bombe à retardement qui vrille ses pupilles accusatrices en direction de l’enfant. « Tu sais ce qu’on leur fait, aux cracmols ? » Incertain, Gabriel ose enfin relever le nez de son assiette, puis rétorquer : « on les noie. » Chez les Quirrell, on les empoisonne. Qu’importe. Une pratique vaut bien l’autre, rétorquerait Henry. Elle n’est pas de cet avis — la mort que son ancien clan donne a au moins le mérite d’être douce.
Sur sa droite, la curiosité de son fils s’éveille à nouveau, et il se met soudainement à gesticuler. « Mais pourquoi ? » Il n’a pas l’insolence dont Lyrae sera parée à son âge ou l’arrogance qu’aura Astoria, mais la question, emplie de sincérité, détonne et dérange tout de même. Elle n’est ni première, ni dernière, simple résultante d’une longue lignée. C’est l’âge, non ? Il apprendra. Ils apprennent tous. Glorifier les superbes, abattre les faibles. « Assez de cette insubordination. » Le vieux loup bondit presque, Drusilla aussi et, plus rapide encore que les canidés aux grondements monstrueux, se dresse entre le fou et le chérubin, rapidement épaulée par le conjoint.

Elle se doute bien, quand il clamse.
Elle sait, est certaine même, mais elle ne dit rien.
Tous les affronts blessent, le dernier le tue.
Le roi est mort, vive le roi. Son roi.

chapter two
Lyrae ne flanche pas, jamais. Elle a rapidement appris que le faible capitule devant le fort et qu’elle est née pour détenir la place dominante, non l’inverse. Alors, quand Drusilla lui interdit de quitter la petite table de marbre où elles prennent le thé avec Astoria pour rejoindre son frère à l’extérieur, sa cadette plonge ses grands yeux inquisiteurs dans ceux de la matriarche, la fixe sans ciller, comme si elle allait la faire changer d’avis par simple volonté.
Diantre, les gamins. Elle sait pas trop ce qu’ils ont dans la caboche — ne sait plus trop, pour être exacte —, sont tous si différents les uns des autres qu’elle a parfois du mal à s’acclimater. Pourtant, plutôt clamser que d’accepter l’offre d’Henry et s’offrir les services d’une gouvernante pour reprendre le flambeau.
Non seulement parce qu’ils sont siens, qu’elle prend toujours un malin plaisir à couver ses louveteaux, mais également parce que la sienne était horrible. Plus acariâtre que sa propre mère; c’est dire.
Non, définitivement, elle ne… « Oh », fait Astoria en laissant échapper un hoquet de surprise, pupilles fixées sur un point invisible derrière Drusilla qui, lorsqu’elle se retourne, sourcil arqué, découvre le brasier à peine entamé. Les lourds rideaux émeraudes encadrant les hautes fenêtres donnant sur le bosquet, disparaissent doucement sous les flammes qui se meurent avant d’avoir accompli leur travail. Drusilla laisse retomber sa baguette magique sur la table avant de laisser glisser ses doigts graciles sur l’épaule de Lyrae : là où Gabriel se recroquevillerait, elle redresse le dos et relève le menton. « Tu finiras par brûler cet endroit des fondations au plafond si tu n’apprends pas à te contrôler. » Elle n’a pas l’intonation d’Henry, ne souhaite pas l’avoir. C’est une mise en garde doucereuse bien plus qu’un froid reproche.
Elle surprend le regard désapprobateur, un brin moralisateur d’Astoria, et lui désigne l’arche par laquelle elles sont entrées une trentaine de minutes auparavant d’un petit geste du menton. L’aînée s’exécute; contraste foudroyant entre les deux gamines et une fois sortie, Drusilla soulève Lyrae, encore si délicate, encore si jeune, la serre contre elle tant qu’elle le peut.
C'est pas si grave.
Pas encore.

chapter three
Elle a l’impression d’étouffer.
La chaleur l’étouffe, l’étrangle pendant quelques secondes — le temps de recracher les volutes grisâtres qui s’élèvent docilement jusqu’au plafond nacré.
Cigarette entre les doigts, elle observe Gabriel, les traits angéliques de son visage qu’elle pourrait tracer sur papier les yeux fermés, sa poitrine qui se soulève avec force au gré de ses respirations.
Et parce qu’il respire, elle le fait aussi, par simple extension.
D’un geste du pied dédaigneux, elle repousse le tas de vêtements ensanglantés en direction de l’elfe de maison et, le regard fiévreux, elle ordonne pourtant placidement : « brûle tout. » Qu’il ne reste rien, aucune trace, surtout pas dans l’antre de la bête. « Ne traîne pas et surtout n'oublie rien. »
La cigarette se consume et elle s’en débarrasse aussi rapidement que s’il était question de l’un de ses amants. Avant de rejoindre le Chesterfield dans lequel s’est laissé tomber Gabriel, elle ajoute : « tu ne voudrais pas connaître le même sort que Fergus, n’est-ce pas ? » Diplomatie glaciale, l'évocation du prédécesseur fait trembler, a de quoi pousser à se surpasser.
Il gesticule un peu, juste comme quand il était petit. Il l’est encore, parfois.
Il l’est toujours quand il vient déposer sa tête sur ses genoux et qu’elle passe une main délicate dans ses cheveux.
Encore et encore, jusqu’à-ce qu’il ferme les yeux à nouveau, la respiration plus lente.

chapter four
« Je l’ai tué. » Drusilla émet un drôle de son guttural, perdu entre la moquerie et l’étonnement. Elle est à deux doigts de faire demi-tour et reprendre ses allures félines pour parcourir les rues d’une nuitée éprise de la quiétude à laquelle elle aimerait se laisser aller un peu plus longuement. Légèrement hésitante, elle plisse les yeux derrière le halo de fumée que dégage la cigarette à peine allumée. « Tu vas devoir être plus précis. » Margaret ? L’un des elfes ? Regard désapprobateur en biais, elle soupire la lassitude qui l’étreint. Pas encore.
L’espace d’un instant, elle pense aux enfants, aux colères monstrueuses et à l’ombre d’Hector qui plane, pèse sur les épaules de son époux.
Le suivant, l’idée s’estompe. « Ton amant. » Insolente, Drusilla laisse échapper un moqueur, ose s’enquérir : « lequel ? »

« Rejoins-moi », qu’il demande du bout des lèvres, comme si plus d’insistance lui en coûterait la vie ou, à tout le moins, une partie de son ego flamboyant. La cigarette s’écrase dans un cendrier de cristal et elle daigne glisser un regard dans en direction du lit à baldaquin avant de se détourner à nouveau, faussement désintéressée. L’encre d’une nuit placée sous le sceau du morbide l’empêche de voir au-delà de l’entrée du bosquet, mais elle devine sans moindre mal la terre retournée, non loin de son orée, tombeau de fortune pour l’Adonis.
Quel gâchis. « Remords ? » Drusilla soupire, incline légèrement la tête de côté. « J’en aurais moins si tu avais tué un vieillard comme toi », admet-elle après un temps considérable, regard impénétrable ne quittant pas le reflet que la vitre lui renvoie. Sur sa droite, Henry a un hoquet moqueur avant de se redresser lorsqu’elle échoue au bord du lit. « Tu n’as aucune idée de la signification du mot remord. » Ses doigts viennent se balader sur son épaule, font glisser la soie du peignoir sur son long. « Certes. » Nouvelle admission pour laquelle elle se penche légèrement et à la confidence, elle emprunte sa tonalité : « mais je ne l’ai pas tué. » Lui, oui. Egoïste aux droits de monarque divin — se refuser l’amusement et le bon plaisir ? Certainement pas. Les refuser à Drusilla ? Il s’en donne toujours à coeur joie. Ses propres doigts châtient ceux de l’époux et elle se redresse lorsqu’elle sait l’avoir fait espérer l’étreinte d’une nuit suffisamment longtemps. « Bonne nuit, dear. »

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