(Léonide) ≤ In the dark of the night.

N’était-ce pas ironique de trouver la tranquillité dans ce drôle de monde ? La silhouette vêtue de noir traverse les rues sans qu’on ne semble remarquer sa présence, fantôme à travers le brouillard. Elle rentre au manoir familial tard, sans avoir un mot à dire, séjour exceptionnel auprès d'eux. Longtemps elle avait tenté d'aider sa soeur face à leur père mais cette dernière semblait mal prendre l’attitude un brin insolente de sa cadette. N’avait-elle pour ambition qu’attirer l’attention, Elphaba ? Non. Elle essayait d’exceller pour détourner le regard d'elle. Elle n’avait pas trouvé mieux. Un bain. Un bain bercé par une vieille musique. L’oubli a sa propre mélodie, lui aussi. Cela faisait quelques semaines qu’on avait à peine vu Elphaba, elle allait et venait entre le Ministère et son appartement londonnien sans guère croiser qui que ce soit, lasse. La lassitude, elle trempait dedans. Elle ne saurait dire à cet instant si le mal était plus chronique que soudain - la môme maudite pouvait-elle seulement obtenir des réponses ? Ca murmurait toujours chez les Prince, à certains repas, quand elle était trop silencieuse, quand elle observait une personne avec insistance. On craignait ce qu’elle pourrait dire ou deviner. La faire passer pour une voyante aux yeux du monde permettait d’éviter qu’on ne prenne trop mal des paroles sincères et inquiétantes, des avertissements à peine voilés. Petite sardine n’était pas encore au fond de la piscine.

Bruit sourd. On toque. Il est trop tard pour une visite de courtoisie et chacun semble dormir. Un ou deux tours de baguette et elle atteint l’entrée, sèche, rhabillée d’obscurité. Léonide. « Aurais-je oublié l’un de nos- » Rendez-vous. Les mots se meurent, se heurtent à l’aura noire perçue brutalement. C’est toujours ainsi avec monsieur Lestrange, il dégage cela depuis le premier jour toutefois elle s’y prépare d'avance, elle prévoit - elle est prise de court. « A l’évidence, non. » Il n’y’a aucune évidence. Il n’y’a rien qui puisse lui donner une réponse puisqu’il n’a pas eu le temps d’ouvrir la bouche.

Elle attrape son manteau qu’elle enfile rapidement et son sac à main - le repos social aura été de courte durée. « Vous êtes trop âgé pour ne pas savoir régler un ennui par l’intimidation alors.. qui a vu quoi ? Qui n’aurait pas dû voir quoi, surtout ? Et n’oubliez pas les détails, ce serait fâcheux que je fasse une erreur. » Perfectionniste. Elphaba déteste les erreurs bien qu’elle en soit une. Quel enfant de son genre n’en serait pas une ? « Dans quelle histoire sordide vous êtes-vous fourré ? » Il avait eu une piètre opinion d’elle la première fois, la pensant secrétaire sans en démordre et elle doutait que leurs petits dîners y changent quelque chose alors.. alors quoi ? Quel désespoir roule dans l’esprit pour nécessiter la présence d’une femme telle que la Prince ?

Skar. Elle demeure, jamais ne meurt. Il observe, du coin de l’oeil, cherche la vérité sous l’apparat. Monstre vêtu d’humanité. La folie gangrenant le cortex. La critique aisée pour l’épouse alors qu’il n’est que doublon, revers masculin du miroir. Pile et face d’une même ignominie. La magie roule entre ses doigts, enrage le bois de la baguette. Meurtrissures. Duel jaloux. Il provoque stries, ravage le derme. Elle crayonne à son esprit, barbouille, s’attaque au mental. Guérilla épuisante. Il sort de l’appartement. Tous deux vaincus de leur bêtise. Du rouge roule sous ses vêtements bleu nuit. Du rouge maquille son visage. La pluie est bienfaitrice, lui offre salvation d’un instant. Barbouille s’efface et détrempe le faciès contracté de colère. Appartement de l’épouse délaissé. Lestrange s’éloigne, s’enfonce à la fange de ruelles vertigineuses. Chemin de Traverse lui offre refuge de sa colère. L’échine se fait croquer par la foule, s’abandonne à l’anonymat. Ils sont encore nombreux, les sorciers, à arpenter les rues de l’envers magique. Pluie salvatrice de l’été. Un parapluie s’est ouvert au-dessus de son crâne. Un tissu noir fracturé d’or. L’adoration des détails jusqu’à l’infime accessoire. Il vogue Léonide, cherche à braver la colère, à calmer les soubresauts d’une échine esquintée. 

Une idée.
Un écho fou.
Transplaner. 
Rejoindre une autre contrée, s’enfoncer à un territoire plusieurs fois foulé. 
Habitat des Prince. 

La nuit continue d’englober les passants, elle avale les rares quidams encore présents. Il séjourne parmi les retardataires, s’avance, conquérant, se refuse à s’écarter pour laisser passer autrui. L’allure roi, jamais l’échine ne ploie. Avancer, retrouver le numéro, quérir quelques mots de l’oiselle qu’il apostrophe depuis des mois. Les rues sont dédales. Les manoirs magiques cachés à l’oeil de celui qui n’observe pas attentivement. Le 9 accueille des caryatides lui offrant sourire, reconnaissance de son visage. Heurtoir qu’il tient à sa paume, se surprend d’être hésitant. Trois coups s'égrènent contre la porte. Il attend, des secondes qui lui semblent interminables. Une habitude qu’on accourt à la moindre de ses réclamations. Enfin s’ouvre le portail. Jeunesse qu’il détaille, se permet l’oeillade de haut en bas. Viande féminine. La langue claque. Les mots heurtent. Il en avait presque oublié la verve roulée au sarcasme. “Bonsoir.” Qu’il s’autorise au milieu du marasme syllabique. “Nous ne faisons que discuter, j’en ai déduit que le moment était venu de prouver vos compétences, aussi maigres soient-elles.” Il descend les marches à reculons, ne souhaite pas se priver de la vue de la brune. “Vous allez m’aider à nettoyer une scène de crime.” D’un sort il fait léviter le parapluie, juste assez pour qu’ils s’y réfugient à deux. “Vous venez ? La mort s’agace des retardataires.” 

Balade nocturne. 
La nuit, il ment.

“Quel quartier putride mérite d’être débarrassé de l’un de ses cloportes ?” Crime encore absent. Les mains blanches. Colère et folie s’agitent dans la cervelle de Lestrange;

Elle approche. « Nous ne faisons que discuter, j’en ai déduit que le moment était venu de prouver vos compétences, aussi maigres soient-elles. » Il recule, l’observe dans sa robe noire digne d’une Morticia Addams dont ce siècle ne connaissait pas encore l’existence. Archétype de sombre sorcière, ce qu’elle n’est pourtant pas supposée être. Le tissu fluide suit les courbes, ne laisse voir que les chevilles délicates. « Vous allez m’aider à nettoyer une scène de crime. » « Vous avez eu de la chance de me trouver ici. » Sous le parapluie, quelque chose la ralentit, perturbe le pas pourtant jusque là assuré. Ca la prend au coeur, ça la prend à la gorge. La colère. La saveur poisseuse d’un grain de folie macabre. Le souffle se fait court, les paupières se ferment. La dernière fois qu’ils avaient été seuls tous les deux, c’était dans son propre appartement, dans le vaste silence où nul n’avait pu les déranger. Le goût de ses lèvres est encore là, ravivé par le miasme émotionnel qui vient la heurter. Pourquoi ? « Vous venez ? La mort s’agace des retardataires. » Les prunelles papillonnent dans l’obscurité relative. « La mort ne s’agace pas, elle a l’éternité. » Les seuls qui s’agacent sont les vivants, pour des futilités, et la Faucheuse ne devait pas non plus connaître les futilités.

« Quel quartier putride mérite d’être débarrassé de l’un de ses cloportes ? » Un soupir s’extirpe des lèvres. Elle était bien, dans son bain. Elle voudrait y retourner, à la quiétude de ses démons intérieurs, à la tranquille morosité de la pauvre fille riche. Le collier orné de la bague de fiançailles n’est pas caché, elle n’y a pas fait attention en sortant, ne l’a pas glissé sous les vêtements comme elle en a l’habitude. Mihkel n’était jamais loin. « Léonide. » Arrêt. Elle ne bouge plus, se fiche bien de la météo ou de la destination. Léonide. Elle l’avait toujours appelé ‘Monsieur Lestrange’ ou ‘Monsieur’, jusque là. Toujours, même après le rapprochement impromptu. « Vous débarquez chez mes parents, de nuit, après avoir ignoré ma présence ces dernières semaines et vous croyez que cela va se passer aussi aisément ? » La colère. Le sentiment corrosif, corrupteur. Elle ne le touche pas, pourtant, c’est bien ce qui devrait l’inquiéter. Quelque chose les a lié, quelque part. Si l’instant avait été à la rationalité elle aurait soupçonné la mort de l’enfant, l'hémoglobine imbibée de magie noire qui avait trempé leurs doigts trop peu de secondes après que son coeur à elle ne se soit emballé. Si elle avait eu toutes les données, elle aurait pris la fuite car deux malédictions ne devraient jamais s’accrocher l’une à l’autre. « Vous n’êtes pas dans votre état normal. C’est brouillon et acide. » Ca n’a de sens que pour elle, comme si des émotions pouvaient avoir des goûts, des odeurs ou des couleurs. Comme si elle pouvait le savoir. Les murmures ne cessent que rarement après son passage, bien sûr qu’on entend souvent qu’elle est voyante, qu’elle est étrange, qu’elle traîne le malheur mais où étaient les symptômes associés au don de double-vue, alors ?

« Miss Prince ? Ce n’est guère convenable- » « Oh elle va se calmer tout de suite, la commère du village. Vous ouvrez votre grande bouche et tout Dublin saura l’illégitimité de vos enfants. » L’air offusqué de la cinquantenaire est d’une éloquence qui se passe d’autres mots, elle rentre chez elle avec son labrador sans rétorquer. Elphaba avait effacé la mémoire d’un des prétendants trop zélé désireux de faire reconnaître son fils comme héritier de la fortune de l’excentrique sorcière et les confidences avaient été de paire avec le travail demandé. « On va où ? » Les yeux d’ambre se plantent dans ceux de Léonide, attendant la réponse. Elle avait pourtant plus de self-control que cela, en journée.

“Les morts aussi ont leurs soucis.” Les morts ont le temps. Séjour éternel. Plus aucun souci venant heurter le cortex. L’impatience appartient aux vivants dit-elle. Léonide voudrait reprendre, expliquer, lui octroyer vérité sur laquelle tous ou presque se fourvoient. Les morts attendent, geignent, ne trouvent pas le salut de l’autre côté. La magie les fait revenir, retient leur âme, les coince dans un état singulier. Ni fantôme, ni mort. L’entre-deux. L’explication s’enterre dans sa gorge, est fauchée par d’autres pensées. 

Elle l’accuse d’être venu toquer au domicile familial. “J’ai pensé que ma présence vous manquait.” Depuis la dernière fois, depuis ce rendez-vous achevé dans le sang. Il questionne souvent sa décision, son action ; le fait de l’avoir aidé. Femme qu’il aurait pu laisser sur la moquette, à se noyer dans la mort d’un nourrisson malingre, non achevé. Nymphe sauvée de ses eaux rouges. Lestrange ne sait pas, ignore la raison de son action. Mutisme dans lequel il se vautre à l’ordinaire. Craquement au coeur. Perforation à l’organe qu’il pensait cratère. De ses quelques mots, il moque, il use d’une facétie, d’une pirouette lovée de séduction. 

L’aura est noire ce soir. Scintillante d’horreurs, rutilante de malheurs. La hargne s’agite toujours au fond de sa cervelle, comme une vieille amie, impatiente. Les poings se forment et se défont. Elles sont rares les émotions chez Léonide. Toujours minimalistes, entretenues au silence, elles glissent sur son être, ne s’y accrochent pas. Mais Skar agite des soubresauts de haine, des crachats de férocité. Il doit se calmer, se débarrasser des vestiges, enfourner les tessons au puits du léthée. “J’ai manqué de tuer ma femme, comme des dizaines de fois auparavant.” L’information est lâchée, sans préambule, sans préoccupation d’un outrage qu’il pourrait causer chez son interlocutrice. 

Où aller. Que faire. Il a toqué à sa porte, dérangé sa routine, s’est invité en monarque. Il ne sait pas Léonide, n’a pas une once de volonté pour la suite. Il voulait… tuer, abattre, désosser. L’envie s’étiole, se disperse. L’apathie revient le ronger, s’éprend de ses émotions. Le vide. L’absolu néant. Les billes observent la pluie. Le cerveau trouve une nouvelle occupation. “Je ne sais où aller. Je ne connais rien de cette ville.” Rare présence. “Vous moquez les quolibets, allons les alimenter.” Allées sombres. Ruelles crasseuses. Il quémande un guide pour cartographier l’horreur de la ville.

« J’ai manqué de tuer ma femme, comme des dizaines de fois auparavant. » Il n’y’a pas de variation dans son attitude, pas de choc intense ou de violent recul. Soit. C’est terrible toutefois ses propres parents ne savaient pas communiquer autrement que par la violence, elle avait grandi dans cette ambiance pour le moins horrible, bien peu enviable. Elle en voulait à son père pour cela. Elle le détestait de menacer l’existence des femmes autour de lui pour compenser sa sensation d’être plus faible que son frère, inapte à engendrer un fils. Léonide, monstre arpentant son existence tel une ombre, désormais, liés par une expérience à la fin inattendue. Léonide, véritable enfoiré qu’elle a voulu, peut-être par fierté, par arrogance, pour se prouver qu’elle pouvait elle aussi attraper dans ses filets un homme qui la sous-estimait. Un homme dont le nom faisait frémir.

« Je ne sais où aller. Je ne connais rien de cette ville. » Froncement de sourcils. Il était venu jusqu’à Dublin, il n’y avait peut-être jamais mis les pieds ou trop peu pour en reconnaître les rues. « Vous moquez les quolibets, allons les alimenter. » Donnait-elle cette image ? Il l’avait pourtant préservée des pires quolibets possibles pour une femme de sang pur à leur époque. Elle avance, fait quelques pas, la robe suivant gracieusement les mouvements. Elle est trop habillée pour le monde que Léonide désire trouver et, d’un autre côté, elle est sans cesse tirée à quatre épingle, hors de la mode et du temps, hors des normes - le regret de ceux qui lorgnent sur la carcasse d’un nom, savoir qu’elle ne savait pas se plier aux moules demandés, exigés.

Elphaba ne dit rien du lieu où elle l’entraîne, trajet lent et silencieux leur faisant quitter le quartier bordé de manoirs pour entrer dans des chemins plus sombres, des raccourcis ensorcelés. Enfin, une vaste demeure aux murs noircis et aux rideaux rouges. Si cliché. Il y’a des voix, des agitations, des rires qui s’échappent de la porte s’ouvrant régulièrement pour laisser entrer et sortir des hommes de toutes sortes. « Ca n’aura pas la saveur de nos dîners habituels. » Prévient-elle avant d’entrer.

La fragrance d’alcool est aussi évidente que l’activité abritée ici. Il y’a bien des tables et des rideaux épais, il y’a des alcôves et des femmees aux charmes terribles. Une blonde fascinante est installée sur les genoux d’un sorcier qui a des moyens évidents de se payer la plus belle catin du quartier - vélane. « Tiens donc, quelle malheur vient apporter le chat noir ? » Elphaba tourne la tête vers une femme qui a le double de son âge, une réelle assurance mais des scrupules inexistants à tenir ce qui se donne des airs de restaurant à la mode tout en sachant que les étages ne servent en repas que les désirs des mâles. « Tu t’es enfin décidée à abandonner l’espoir qu’on t’épouse ma chère ? T’es mignonne, on paierait sûrement bien pour ton joli visage. » Elle ne s’offusque pas, force de l’habitude. Au ministère elle est quelqu’un, au ministère on réclame ses talents, son intellect. Dans sa ville natale, elle n’est qu’une gamine qui ne parvient pas à trouver un mari, une célibataire qui a une bien étrange réputation. « Monsieur a faim. Et il a les moyens alors rangez le venin et sortez-nous la carte. » Elle marque une pause tandis que la gérante détaille Léonide. « Il va falloir intégrer que je ne saurais être la putain de n’importe quel ivrogne irlandais. La plupart ici se consolent de leur manque de virilité. » Elle traverse sans demander d’autorisation vers un angle plus isolé, arche de velours bleu à l’écart, charmant cliché des habitudes françaises semble-t-il où payer les plus belles femmes et les cocottes de service sert de prestige à ceux qui n’en ont pas par eux-mêmes.

Elle s’assied, se nourrit sans le montrer des vides de l’âme qu’elle peut trouver en son compagnon de soirée. Sa décence l’empêche d’user du contact pour ne pas percevoir les désirs débridés à proximité. La vélane, diablesse de vélane. « Je me moque certes de ce que l’on dit de moi mais je ne voudrais pas que cela vous atteigne. Vous avez assez fait, n’est-ce pas ? » Cacher le foetus, arracher le porte-malheur aux griffes de la mort. « J’espère que vous avez de l'appétit, je compte bien montrer à Melreen que son petit prestige de maquerelle dissimulée ne vaut rien comparé à nos coffres. » Vengeance délicate, vengeance de soieries et de sourires distingués.

Sa venue est une erreur. Une supercherie. Une bêtise à laquelle il semble réfléchir. Un doute assaille. Peut-être serait-il plus judicieux de répartir, s’en retourner à d’autres cauchemars. Un instant, Léonide s’attend à ce qu’elle abandonne, le laisse à ses pérégrinations nocturnes. Le voilà embrigadé pour d’autres activités. Dublin. Il n’a jamais pris le temps d’en connaître les recoins, de se satisfaire de la misère qui gangrène, accroche, et avale une population dont on ne retient pas les noms. Docile, il suit la figure brune, s’aventure à ses côtés. Caractère singulier. Promenade non autorisée. Lestrange sait qu’il ternit la réputation de Prince, qu’il pourrait piétiner toute possibilité de mariage, qu’il n’a qu’à clamer quelques syllabes houleuses, honteuses. L'intérêt l’en empêche. La curiosité le pousse à protéger Elphaba, à défaire les langues vicieuses qui tissent quolibets sur son passage.

Un sourcil grimpe. L’étonnement surgit aux billes. Un établissement du mensonge, du vice. Le palais des péchés. Bâtiments qu’il connaît, a parfois arpenté. Sous couvert d’un restaurant se dessinent les appétits mâles. Le vice enrubanné. Lestrange n’a pas le temps de commenter le choix qu’il est entraîné dans la valse d’une soirée lui échappant. Ils entrent. L’oeil innocent n’y voit que des tables et couples. Les autres saisissent la vérité calfeutrée sous l’arche.

Échange entre harpies. Il est spectateur de la scène, laisse Prince se débattre avec les griffes de la patronne.

Les voilà installés à l’écart. Elle dit s’inquiéter pour lui. Une risette arpente son faciès. “Ma parole prévaudra toujours sur la leur. Et pour ceux ayant une langue trop pendue… il suffit de leur rappeler qu’elle peut être tranchée.” Les menaces en bordure des labres. “Ne pensez pas que j’ai agi pour vous. C’est mon égoïsme uniquement qui a guidé mon geste. Il est si difficile d’obtenir les services d’un oubliator.”

Le menu est refermé. Il dicte ce qu’il souhaite, choisit sans réel appétit. A la fin, il se permet un ajout. “Et comme dessert, je souhaite acquérir votre velane.” La gérante ouvre mirettes, s’effraie. Lestrange est connu pour les putains délogées de leur établissement, jamais revues. “Elle n’est à vendre que pour une nuit. Elle m’appartient, elle ne quittera pas l’établissement.” S’offusque la gérante. Lui se redresse, pose assurance dans ses propos. “Comme c’est dommage. J’envisageais une somme suffisante pour rétablir l’architecture de votre bâtiment qui s’effondre.” Grossier maquillage magique. Des sortilèges par dizaine pour déguiser la vétusté. Elle s’éloigne, promet d’y réfléchir.

Léonide reprend la conversation. “Si je vous engage pleinement à la tâche que j’ai évoquée des mois plus tôt. Que demandez-vous en échange ?”