(léonide) six feet under

Octobre 1896. Encore vêtu des nippes des lions d’or, l’héritier des Dumbledore s’engouffre dans les sous-sols âpres de Sainte Mangouste. Sa première visite. Les minutes s'égrainent et l’oeil s’habitue à l’obscurité des lieux. Le vieux Black l’a tiré de Poudlard, lui annonçant la nouvelle. Perceval disparu d’Azkaban. Son corps retrouvé sans vie, au fond d’une cellule. Du haut de ses quatorze ans, Albus rumine en silence. La réalité résonne en son crâne comme une sirène sourde. Il ne lui a pas dit au revoir. Muré dans un mutisme infernal, intérieurement, l’adolescent hurle sous le joug du deuil. L’émotion est violente. Brutale. Quoique qu’il dise ou fasse. Quoiqu’il désire… Son père n’ouvrira plus les yeux sur le monde. Il ne reviendra plus. Les ambres embrumées de larmes, la finalité de l’événement lui arrache le coeur. L’homme était son centre de gravité. Une présence paternelle, évanouie dans l’éther, plus vite encore qu’il ne peut l’accepter. Il s’accroche aux souvenirs qui lui filent déjà entre les doigts. Quel était le son de sa voix ? Qu’attendait-il de lui ? Qu’avait-il prévu pour les Dumbledore ? Ceux qui restent, cloisonnés dans des limbes terrestres, dont Albus ne veut plus. Univers dénué de sens, dans lequel les sans magie sont rois. Déjà, la colère s'immisce en ses veines, lui déchire le myocarde. Combat interne qui lui ôte la volonté suivre l’ordre établi. De protéger les coupables et leurs torches assassines. Elles qui ont mis le feu à la magie de sa jeune soeur, et éteint l’un des duellistes les plus respectés du monde sorcier.

Silence macabre dans les confins de l’établissement. Suivant l’assistant funéraire jusqu’aux tranchées de son parrain, il réalise soudainement sa présence aux portes du purgatoire. Pandæmonium qui lui arrache l'âme. Baissant le regard vers la pierre froide qui se dérobe sous ses pas, il songe à Ruben, à Abelforth et à Ariana. Une voix grave le tire de son chaos encéphal. La silhouette de Léonide Lestrange s’esquisse face à lui, digne et rassurante. Le passeur du Styx les laisse et, seuls, Albus se réfugie dans les bras d'Hadès, cherchant la chaleur du corbeau protecteur. Lentement, Dumbledore lève le menton et plonge ses iris dans ses éclairs. Le colosse empeste la mort, une odeur que le Gryffondor n’a connue qu’à travers leurs étreintes. “Il est ici, n’est-ce pas ?” La question s'échappe de ses lippes tremblantes. Il n’ajoute rien, la peur de l’inconnu lui noue la gorge. De ce qu’il verra près de son aîné. Les prunelles parlent pour lui. Ne me laisse pas seul.

Octobre 1896. Un jour noir fleurit le royaume souterrain. La mort est annoncée. Le corps en menace d’être envoyé aux eaux enlaçant Azkaban. Léonide s’y déplace, ne peut tolérer ce manque de respect pour un ami. Les discussions sont houleuses, complexes, le directeur se refuse à tout traitement de faveur. Quelques pirouettes, menaces et autres syllabes dangereuses taisent les inquiétudes de la tête pensante de la prison. 

Le corps est apporté à Ste Mangouste.
Dernier séjour.

Plume et parchemin sont sous sa main. Il doit écrire à Albus, le prévenir, assembler des mots corrects sans être abrupt. La rédaction s’interrompt. Son assistant s’annonce, se plante devant Lestrange, y murmure que le jeune Dumbledore est devant la porte, attend au gouffre de la mort. Hochement de tête. La plume rejoint le marbre, le parchemin s’embrase d’un sortilège. Les mots écrits n’ont plus d’utilité. Léonide va devoir les formuler, jongler d’empathie, tenter le réconfort. La silhouette de l’adolescent apparaît. Le deuil sur les épaules, la mort en compagne. Ses bras s’ouvrent pour accueillir le brun, soigner les plaies d’une âme calcinée. Une étreinte pour laquelle il ne ment pas. Épaules tremblantes qu’il tente de calmer. L’échine est incertaine, parcourue de soubresauts. Léonide s’imagine les larmes retenues, la tristesse contenue. “Albus... je suis désolé.” Un chuchotement. Les corps s’éloignent, et Léonide perçoit les rétines embuées. 

Il est ici. “J’ai demandé à ce qu’il soit transféré ici.” Mensonge qu’il ne saurait lui présenter. Vérité des détenus qu’il souhaite lui expliquer. Ces corps-là ne joignent jamais la morgue de Ste-Mangouste. Indignes. “Azkaban n’ordonne jamais d’enterrement pour ses prisonniers. Ils joignent les eaux.” Relâchés à la nature, sans sépulture. 

Sa main gauche se pose à l’épaule du jeune sorcier.
Les globes fixent soudainement le vide. La silhouette du père défunt se découpe à la lueur d’une bougie. Un spectre. Une dernière ébauche avant de rejoindre les limbes. Il est silence, enveloppe blanche. Une présence qui le suit depuis l’arrivée du corps cinq heures plus tôt. Un instant, il songe à prévenir Dumbledore, lui indiquer que le père est là, mais le secret reste au larynx, s’enferme derrière les lippes. “Je n’ai pas encore commencé. Si tu souhaites le voir maintenant, sache que son enveloppe est entamée.” La Mort a enrobé le corps, ses doigts arachnéens autour du derme, léchant la chair délivrée de sa rigidité cadavérique. “Suis-moi, et arrête-toi si tu en ressens le besoin. Et fais couler ces larmes que tu ravales, sinon elles noieront ton âme d’un chagrin qu’on ne consolera plus.” 

Un couloir. Une porte bleue. Puis un deuxième couloir et enfin la porte rouge s’ouvrant sur le corps dépiauté de vêtements. Allongé sur une table. Une lumière bleutée s’évade de divers points lumineux flottant dans la pièce. Léonide s’écarte, rejoint le coin droit de la pièce, offre à Albus le choix d’affronter ou repartir.

Le deuil au bord des lèvres, Albus retient des larmes, vieilles de plusieurs années. Le départ de Perceval pour Azkaban n’a pas été digéré, pas plus que le lion accepte dès lors la nouvelle de sa disparition. Plus encore qu’un patriarche, l’héritier vient de perdre son étoile. Dans le sillage des Dumbledore, il était un modèle de droiture, de bravoure et d’audace. Un duelliste hors pair et un père aimant, qui marquera l’esprit de ses rejetons et le reste du monde magique à travers une histoire scandaleuse. Ariana marquée par le traumatisme elle aussi, et le meurtre des trois moldus rattaché à leur nom, Albus ne rêve que de redorer le blason gallois. En quelques années de vies, le défunt qui a fait de lui ce qu’il est ; un sorcier érudit et valeureux. Un homme à mille lieux du prisonnier décrit par les Skeeter dans le torchon qui leur sert de journal. Poussant un soupir, il se traîne jusqu’aux tréfonds de Sainte Mangouste, le coeur lourd. En ce jour, il n’a pas la force de faire preuve du courage insufflé par son père. Il n’y a de place en son crâne que pour la colère qui lui enserre furieusement la gorge.

Albus... je suis désolé. La voix s'élève et son regard ambré se pose sur la silhouette familière du parrain. Les mots percutent l’oreille et l’adolescent se réfugie dans les bras de Léonide. Incrédule, il apprécie tout de même le geste du corbeau. Orfèvre de la mort, Lestrange accompagne les trépassés dans leur dernière demeure. Une dévotion particulière à la vie que le garçon admire, en silence, depuis sa plus tendre enfance. Maître des enfers et du paradis, il n’y a que lui qui puisse délivrer les endeuiller de la peine qui les accable, se salissant les mains pour rendre la douleur de la perte plus supportable. J’ai demandé à ce qu’il soit transféré ici. Azkaban n’ordonne jamais d’enterrement pour ses prisonniers. Ils joignent les eaux. Ravalant un sanglot, il hoche la tête. “M-merci, Léonide.” Marmone-t-il. Se passant de tout commentaire, le murmure est à peine audible. Affublé de son uniforme d’écolier, il suit le directeur funéraire. Je n’ai pas encore commencé. Si tu souhaites le voir maintenant, sache que son enveloppe est entamée. Entraînés dans un long couloir, ils parviennent enfin jusqu’à la salle dans laquelle la dépouille repose.

C’est lui.
Perceval.
Le fils reconnaît ses cheveux de jais au premier regard.
Allongé sur une planche de bois, son visage blême observe l’invisible.
Il lui manque, depuis si longtemps. Trop longtemps. Albus aimerait hurler mais il ne dit rien, choqué. Suis-moi, et arrête-toi si tu en ressens le besoin. Et fais couler ces larmes que tu ravales, sinon elles noieront ton âme d’un chagrin qu’on ne consolera plus. A ces mots, Albus reste interdit durant plusieurs minutes. Puis, il approche le cadavre. Il s’agit de son père, avant tout. Posant délicatement ses doigts sur son visage, il est d’abord surpris par le rigor mortis, en action, puis il glisse ses bras sur le tronc du britannique, l'enlaçant, profitant d’un contact attendu comme la pluie dans le désert. Etrangement, la peur s’évapore et l'échange le réconforte plus qu'aucune parole ne peut le faire. Il n’y a plus que lui et son père, sous le regard bienveillant de Léonide Lestrange.

Ici, enfin, des larmes le quittent. Un flot continue qui se verse sur son aîné disparu. Non, il ne reviendra plus. Plus jamais. Levant la tête vers Léonide, il caresse doucement la carne figée. “Il ne méritait pas ça, n’est-ce pas ?” Les traits tirés, il poursuit : “Les moldus. Je veux qu’ils brûlent. Tous, pour ce qu’ils nous ont fait.” Marquant il pause, il ajoute, se reconcentrant sur le corps de l’aimé : “Que vas-tu faire de lui ?” Il humecte ses lèvres nerveusement. “J-j’aimerais aider, si tu me le permets.”